La BBC (British Broadcasting Corporation) est sans doute le média mondial le plus prestigieux. C’est celui qui bénéficie d’une réputation d’excellence culturelle à nulle autre pareille et est en tout cas la plus importante société de diffusion au monde tant en matière de revenus que de téléspectateurs. BBC World News, notamment, est disponible dans 360 millions de foyers. La vénérable institution vient pourtant de vivre un séisme comme elle n’en avait jamais connu en plus d’un siècle d’existence. Et ce par la faute – ou la grâce – d’un ancien footballeur. Il faut préciser que cet ex-footballeur, ce n’est pas n’importe qui. Gary Lineker est le joueur le plus populaire de toute l’histoire du Royaume Uni. Il dépasse en popularité les Bobby Charlton, Gordon Banks ou David Beckham. L’ancien international de Leicester, Everton, Barcelone et Tottenham, auteur de 48 buts sous le maillot de l’équipe d’Angleterre, a pourtant remisé les boots depuis trente ans, mais, à 62 ans, il est le consultant le plus écouté et le plus apprécié en Grande-Bretagne. Institution du « match of the day», il palpe 1,6 million de livres soit deux millions d’euros annuellement. Depuis trente ans, ça lui fait un beau pactole même si, sur la chaîne commerciale concurrente, Sky, Thierry Henri gagnait près du double. L’objet du litige ? Un tweet. Explications.
L’Allemagne des années trente
L’objet du litige, c’est la publication d’un tweet critiquant la politique du gouvernement britannique en matière d’immigration illégale. Une phrase avait particulièrement choqué la ministre de l’Intérieur : «il s’agit d’une politique dont le langage n’est pas sans rappeler celui utilisé par l’Allemagne dans les années trente ». Lineker est suivi par 9 millions d’abonnés sur Twitter, son avis ne laisse donc personne indifférent d’autant qu’il jouit d’une réputation de sagesse dans tout le pays. Ce n’est pas pour rien qu’on le surnomme « Mister Nice » (Monsieur Gentil) et qu’il offre la particularité d’être le seul joueur professionnel à n’avoir jamais été averti tout au long de ses 24 ans de carrière ! C’est donc à 62 ans qu’il écope de son premier carton jaune.
Rétropédalage
Toute la question est de savoir si un consultant qui ne travaille que sur le football pour le service public peut donner son avis personnel sur un réseau social concernant un sujet qu’il ne traite jamais professionnellement. Sans juger la pertinence de son intervention, la réponse est évidemment « oui ». Du coup, au nom de la liberté d’expression dans un contexte qui n’a rien de professionnel, la décision de la BBC a suscité un tel tollé qu’elle s’est vu obliger de rétropédaler.
Les autres collègues de Lineker à la BBC, notamment Jan Wright, Alan Shearer, Colin Murray ou Mark Chapman, ont tous boycotté l’émission-phare de la chaîne, suivie en moyenne par 2,2 millions de téléspectateurs. Le public était cette fois plus nombreux (2,6 millions), curieux de voir comment la BBC allait s‘en sortir. Ce public a vécu un moment historique : l’émission qui dure en général deux heures a été réduite à vingt minutes sans aucun commentaire !
Le grand média anglais a donc rapidement dû non seulement réintégrer son consultant vedette, mais aussi lui présenter ses plus plates excuses ainsi qu’aux téléspectateurs. Et son directeur général Tim Davie, ancien membre du parti conservateur, a évité d’un fifrelin la démission en reconnaissant que Gary Lineker n’étant pas impliqué dans la production d’émissions politiques pour la BBC, l’expression de ses opinions personnelles n’affectant pas l’impartialité de la chaîne.
Evidemment, mais sans doute aurait-il mieux valu y penser avant d’agir. Il en va du prestige de la BBC qui a pris un fameux uppercut dans cette affaire alors que la liberté d’expression figure dans sa charte ...