Ce que le droit d’être informé doit à Assange

Share on Facebook

La Haute-Cour de Londres a annulé en appel le refus d'extrader vers les Etats-Unis le fondateur de WikiLeaks que Washington veut juger pour une fuite massive de documents. La justice britannique devra donc de nouveau statuer sur la demande d'extradition américaine. Cette décision est un coup de massue. Stella Moris (38), la compagne de Julian Assange (50) avec a annoncé qu’il aurait fait un AVC en prison. Son frère, Gabriel Shipton, craint quant à lui désormais pour sa vie. Pour d’aucuns, le lanceur d’alerte est aujourd’hui un héros qui dénonce les abus de pouvoir des Etats, pour d’autres, c’est un traitre au service du renseignement russe. Le pape de Wikileaks est à tout le moins devenu le symbole de la liberté d’expression. Retour sur ce que Wikileaks a apporté au droit à l’information et à la protection des sources.

 

Rétroactes

 

Le fondateur de Wikileaks est incarcéré depuis deux ans au centre de Belmarsh, dans l’arrière-pays du sud-est de Londres. Son état de santé physique et mental est préoccupant. Cette prison de haute sécurité est considérée comme le « Guantanamo de la Grande-Bretagne » pour ses conditions extrêmes de détention. Julian Assange se trouve sous le coup de poursuites lancées sous la présidence de Donald Trump pour avoir publié des centaines de documents classés secret défense, comme des informations sur des activités bancaires illégales, la bible secrète de la scientologie ou encore les 570.000 interceptions de messages envoyés lors des attentats du 11 septembre. La justice américaine l'accuse de piratage informatique et l'inculpe d’une quinzaine de chefs d’accusation en vertu de lois anti-espionnage. Julian Assange encourt jusqu'à 175 ans d'emprisonnement s'il est extradé outre-Atlantique.

Nouveau rebondissement, les hauts magistrats britanniques reviennent sur la décision initiale de la juge Vanessa Baraitser, qui il y a près d'un an s'était opposée à la remise aux autorités américaines de l'Australien invoquant des risques de mauvais traitements pour le fondateur de WikiLeaks. Dans sa décision, la Cour estime que les Etats-Unis ont fourni des garanties suffisantes, répondant ainsi aux inquiétudes de la juge de première instance. Cette décision annulant la première, la voie est à nouveau ouverte à une extradition. Le prochain rendez-vous judiciaire est fixé au 24 février 2022 prochain. « Profondément inquiètes », plusieurs ONG, dont Amnesty International, Human Rights Watch et Reporters sans frontières, ont demandé à la mi-octobre dans une lettre ouverte adressée au ministre américain de la Justice Merrick Garland d'abandonner ces poursuites.

Une icône de la transparence

Fondée en 2006, WikiLeaks est à l’origine des principaux scoops de ces quinze dernières années. L’organisation a également profondément influencé les médias en popularisant de nouveaux modes d’utilisation et de protection des sources. Mais, WikiLeaks n’a pas été le premier site de leaks. Dès 1996, soit dix ans avant le lancement officiel du projet, son ancêtre Cryptome.org mettait déjà à la disposition du public des documents confidentiels tout en préservant l’anonymat de leurs sources.

Là où l’Australien, déjà célèbre dans le milieu des hackers pour ses exploits techniques, affinera le concept c’est qu’il développera, avec WikiLeaks, un vrai projet politique global de transparence basé sur l’idée selon laquelle la libre circulation des informations est le meilleur moyen de garantir une démocratie équilibrée et non confisquée par les plus puissants. Il imaginera ainsi une organisation fonctionnant comme un organe de presse dont la spécialité serait de récupérer des documents confidentiels via une plateforme assurant la protection des sources, tout en assurant leur diffusion auprès du grand public. Dans une note publiée le 31 décembre 2006 sur cryptome.org (Link vers : https://cryptome.org/iq-org/IQ.ORG.htm), Julian Assange explique ainsi : « Dans un monde où les fuites sont faciles, les systèmes secrets ou injustes sont frappés de manière non linéaire par rapport aux systèmes justes et ouverts. Étant donné que les systèmes injustes, de par leur nature, suscitent des opposants, et qu’à de nombreux endroits, ils ont à peine l’avantage, les fuites massives les rendent extrêmement vulnérables à ceux qui cherchent à les remplacer par des formes de gouvernance plus ouvertes ».

Un avant et un après WikiLeaks

L’année 2010 est celle où Julian Assange et son équipe entrent définitivement dans l’histoire de la liberté de la presse en publiant plusieurs séries de révélations sur l’armée américaine étayées par les centaines de milliers de documents fournis par Chelsea Manning. Le document le plus emblématique de cette série de leaks est sans aucun doute la vidéo « Collateral Murder », mise en ligne le 5 avril 2010. Les images, tournées le 12 juillet 2007 par la caméra embarquée d’un hélicoptère de l’armée américaine en Irak, sont dévastatrices pour celle-ci. Alors que l’appareil survole un quartier de Bagdad, l’équipage repère un groupe de personnes et ouvre le feu à plusieurs reprises sur elles, tuant entre douze et dix-huit civils, dont deux journalistes, et blessant gravement deux enfants.

Pour publier la masse considérable de documents en sa possession, WikiLeaks noue des partenariats avec plusieurs grands journaux, dont The Guardian, The New York Times et Der Spiegel, et démontre rapidement qu’avec internet, un seul homme peut changer le monde. L’organisation ouvre dans la foulée la boîte à Pandore des lanceurs d’alerte. Edward Snowden contre les Etats-Unis, Antoine Deltour contre le gouvernement luxembourgeois, Bennet Omalu contre le lobby du football américain, tous dénoncent dans la foulée des dysfonctionnements.

Quels changements pour les journalistes ?

WikiLeaks a exercé une influence incontestable sur les pratiques journalistiques, en mettant en lumière les problématiques de protection des sources, de sécurisation des communications et d’authentification des documents. L’organisation a participé au développement du datajournalisme, le journalisme de données. C’est aussi la première fois qu’autant de journalistes de différentes nationalités ont commencé à travailler dans la confidentialité et ensemble sur des sujets sensibles pour les dévoiler au grand public en même temps. WikiLeaks a ainsi permis l'avènement d'un journalisme sans frontières impensé auparavant. Son modèle a depuis été copié par d’autres plateformes comme GlobaLeaks, Offshore Leaks ou OpenLeaks, ainsi que par de nombreux médias ayant développé leurs propres plateformes de dépôt sécurisé de documents.

Alessandra d'Angelo