C’est dans l’un des bâtiments les plus emblématiques de la capitale que le nouveau musée de la Bière a fait sa rentrée en septembre dernier. Convaincu que les Belges manquaient « un brin de chauvinisme », le bourgmestre socialiste de la ville de Bruxelles a porté le projet. Mais à quel prix ? Le chiffre avoisine les 90 millions d’euros, soit plus de 4 fois le budget initialement prévu. La Bourse de Bruxelles porte bien son nom ! Une véritable débauche d’argent public pour du houblon sous pression. Six mois plus tard, le Belgian Beer World (BBW) ne mousse pas. Il draine 300 visiteurs par jour au lieu des 1000 prévus et accuse 1 million d'euros de déficit. Et pourtant, depuis les bancs de l’opposition, la sonnette d’alarme a été tirée bien avant l’ouverture du site !
L'opposition MR (Geoffroy Coomans de Brachène) et N-VA (Mathias Vanden Borre) s’inquiètent des perspectives financières de ce nouvel outil censé attirer les touristes. Pour masquer cet « échec retentissant », la majorité évoque le nombre de « passages » au sein de la galerie centrale de la Bourse, ce qui n'a rien d'étonnant vu la localisation, la curiosité et l'espace couvert et chauffé. Mais, en six mois, ce sont un peu plus de 50.000 visiteurs qui ont fréquenté le nouveau musée, alors qu'ils devraient déjà être plus de 180.000 pour correspondre aux chiffres attendus. Pour les espaces Horeca du complexe, les résultats ne sont guère plus encourageants, les recettes réelles de 43.000 euros atteignent à peine le tiers de celles qui avaient été annoncées.
« Nous continuons à croire dans ce produit. Nous devons attaquer les marchés étrangers. Nous allons beaucoup travailler pour attirer sur ce produit-phare », retoque Philippe Close (PS) lors du conseil communal de ce lundi 25 mars. Retour sur une success story dont la fermentation aura duré une bonne dizaine d’année et qui ne mousse pourtant pas.
Le Temple de la bière
En 2012, la Ville de Bruxelles devient propriétaire de l'imposant bâtiment de la Bourse érigé à la fin du 19ème siècle. Les autorités souhaitent rendre l'édifice à nouveau accessible au public. Le projet d’y créer un « temple de la bière » est alors privilégié. Initialement annoncé pour un budget de 15 à 20 millions d’euros, il aura finalement coûté près de 90 millions, soit 4,5 fois l’estimation de départ, presque exclusivement payé par de l’argent public, soit les impôts perçus sur le dos des contribuables.
Bien avant l’ouverture du site, au mois de juin 2023, depuis les bancs de l’opposition MR, David Weytsman et Geoffroy Coomans de Brachène interpellent Philippe Close lors conseil communal. Ils évoquent des dépenses pharaoniques.
Réponse du bourgmestre, qui dit assumer complètement : « On doit défendre notre patrimoine (…) Oui on a mis beaucoup d’argent. Vous trouvez que c’est une gabegie, je suis convaincu que les Bruxellois trouveront qu’on a eu raison. C’est un bâtiment qui n’était pas visité, qui était fermé au public. On n’a pas beaucoup de bâtiments symboles comme celui-ci ».
Un budget indécent
« Certes, ce bâtiment est splendide, personne ne le contestera, il a d’ailleurs été classé en 1986, ce qui n’aura pas empêché son propriétaire, la Ville de Bruxelles, de demander des démolitions partielles de l’édifice, et qui pourraient conduire à l’annulation du permis d’urbanisme, et donc à l’illégalité du projet », nous explique Geoffroy Coomans de Brachène.
Mais ce n’est pas cela le pire. « Annoncé entre 15 et 20 millions d’euros en 2011, la facture avait déjà grimpé à 30 millions fin 2018, alors que les travaux n’avaient pas encore débuté. Et fin 2020, on nous présentait un projet tout compris à 43 millions d’euros, auquel il fallait ajouter le rachat de l’emphytéose par la Ville de Bruxelles, soit 5 millions € de plus. Et puis, c’est le grand dérapage, sans explications, on annonce 52 millions, puis 57, puis 62, et enfin voici quelques mois un montant de près de 84 millions d’euros, auquel la ville oublie toujours de citer le prix pour le rachat du bâtiment, soit 89 millions ».
Des fonds publics pompés
Et question financement, les pouvoirs publics ont été mis outrageusement à contribution. « On a notamment capté plus de 7 millions d’euros de fonds européens FEDER, prévus pour les zones en difficulté. Puis la Ville a avalé 12 millions d’euros dans l’enveloppe destinée à l’image de Bruxelles, au détriment de dizaines d’autres projets. Et comme cela ne suffisait toujours pas, on a fait contribuer le fond Beliris. Et cerise sur le gâteau, la Ville a mis la main sur plus de 13 millions d’euros du fond Résilience post-COVID destiné aux entreprises et commerçants bruxellois, pour les aider à sortir la tête de l’eau. Ben oui, là où il n’y pas de gêne, y pas de plaisir », tacle Geoffroy Coomans de Brachène.
Du personnel payé à ne rien faire
Et de poursuivre : « malgré cette débauche d’argent public, le projet va prendre énormément de retard puisque la fin annoncée des travaux a été reportée plusieurs fois. Quant à l’inauguration, elle était prévue début juillet pour déjà accueillir les touristes durant l’été. Mais vu les nouveaux retards accumulés, la Ville a encore allongé in extremis 300.000 euros pour payer la petite vingtaine de personnes engagées à ne rien faire dans un musée toujours fermé et qui n’ouvrira finalement qu’en septembre ! »
Une rentabilité lointaine
L’accès au musée n’est pas gratuit. Comptez 17,00 euros tout de même ! Mais, ne nous crispons pas. C’est pour la bonne cause culturelle ! Ce que n’avait pas manqué de souligner Philippe Close lors de la signature du projet brassicole, en citant Frank Zappa : « Un pays n'existe pas s'il ne possède pas sa bière et une compagnie aérienne. Éventuellement, il est bien qu'il possède également une équipe de football et l'arme nucléaire, mais ce qui compte surtout c'est la bière » (sic !)
Pour Geoffroy Coomans, « dans une ville où les besoins en termes de sécurité, de propreté, de mobilité, d’emplois, de logements ou encore de précarité sociale sont immenses, dépenser de telles sommes au détriment de ces problèmes me semble indécent ! J’espère néanmoins que vous apprécierez le projet de Belgian Beer world. Mais pour ma part, c’est un peu de travers que j’avalerai cette bière ».
Soulignons aussi que même si le projet devait atteindre les 400.000 visiteurs escomptés par an, à 17,00 euros/l’entrée, il faudra une quinzaine d’année pour que le Belgian Beer World commence à devenir rentable. Mais, il est vrai qu’à la gauche de l’échiquier, la rentabilité rapide des projets, quand ils terminent (re sic !), n’est à l’évidence pas une priorité politique.