« Ma cliente regrette profondément son geste »

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Le parquet général de Mons vient d’annoncer ouvrir un dossier pour violation du secret de l’instruction, à la suite de la révélation dans la presse de la vidéo de l'interpellation controversée de Jozef Chovanec et de la récente divulgation par RTL-Tvi des conclusions d’une expertise. Celles-ci indiquent que le ressortissant slovaque de 38 ans est mort à cause des coups qu’il s’était infligé lui-même dans sa cellule à l’aéroport de Charleroi. Il est décédé en février 2018. Les images captées par le système de la vidéosurveillance installé dans la cellule, diffusées dans les médias deux ans après les faits, montrent un policier presser son genou sur le cou de Jozef Chovanec et une policière faire un salut nazi. Me Alexandre Wilmotte, avocat de la policière estime que les images sont sorties de leur contexte et sa cliente n’avait aucune intention raciste, ni antisémite. Il livre son analyse à L-Post.

Rétroactes

Les faits remontent à la nuit du 23 au 24 février 2018. Jozef Chovanec se présente à l’aéroport de Charleroi pour prendre l’avion, mais il se voit refuser son embarquement pour Bratislava par le commandant de bord car il se montre très turbulent. La police fédérale aéroportuaire est requise pour maîtriser l’homme qui se rebelle sur le tarmac. Placé en cellule, au bout de plusieurs heures de privation de liberté, il se porte des coups violents en se tapant la tête contre la porte blindée de sa cellule, obligeant les policiers à intervenir de nouveau pour le maîtriser. Lors de cette opération, il est plaqué au sol, menotté et fait un malaise. Réanimé par les services de secours et transféré à l'hôpital Marie Curie de Charleroi, il y décèdera d’un arrêt cardiaque. Le 27 février 2018, sa veuve porte plainte pour « coups  et blessures volontaires » et se constitue partie civile.

En août 2020, le décès suspect de Jozef Chovanec refait surface. Dénonçant la lenteur de la justice à en déterminer les causes exactes, sa veuve prend l'initiative de livrer à l’opinion publique une séquence vidéo inédite. Sur les images capturées, on peut y voir l'homme saignant abondamment du visage, couché à plat ventre sur un matelas, un policier assis sur lui et une jeune policière de 22 ans faire un salut nazi. Le comité P ouvre une enquête disciplinaire. Les six policiers présents ce soir-là sont interrogés.

« Ma cliente regrette profondément son geste », nous expose maître Alexandre Wilmotte. « Elle n’avait pas de mauvaises intentions et certainement pas des intentions racistes ou antisémites ». Il souligne aussi que l’atmosphère était très tendue de par le comportement agressif persistant de Jozef Chovanec. « L’homme parlait avec un fort accent allemand, ce qui a généré son geste malheureux. Mais, il n’est certainement pas mort à cause de ce geste. On a sorti ces images de leur contexte ».

Droit d’informer Vs secret de l’instruction

Publication de photos ou de rapports d’expertise, diffusion d’enregistrements audio ou vidéo, lorsqu’une information est divulguée par voie de presse, les médias revendiquent leur rôle d’informateurs de l’opinion publique pour s’en justifier : briser le secret de l’instruction est un devoir. « S’il est effectivement de l’intérêt de tous que l’information circule, il faut apprécier comment elle circule. Et la violation du secret de l’instruction est une atteinte à la présomption d’innocence », contre-argumente maître A. Wilmotte. « Et c’est encore plus grave quand ce n’est pas la presse, mais la partie civile elle-même qui est à l’origine de ces fuites. Or, il est fondamental que la réputation d’une personne mise en cause dans une procédure pénale ne soit pas publiquement salie. Outre le fait que ces divulgations parcellaires peuvent faire pression sur une instruction, sur des magistrats ou sur des jurés en cour d’assises, la médiatisation de cette mise en cause conduit irrémédiablement à l’idée d’une culpabilité acquise. C’est de la manipulation de l’opinion publique. Et quand des politiciens prennent la parole dans une affaire sans connaître le fond du dossier, c’est encore pire. Cela va même, dans l’affaire qui nous préoccupe, jusqu’à ce qu’un pays tiers se constitue partie civile pour comprendre ce qui se passe. Quelle que soit la décision judiciaire qui s’en suit, même un acquittement, cette façon de procéder est extrêmement dommageable pour la personne concernée ».

Nécessité d’ingérence Vs but légitime

Le but légitime du secret de l’instruction est de garantir la bonne marche d’une enquête et de protéger ainsi l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. Si pour le bien public, communiquer sur des affaires judiciaires est utile à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, où mettre le juste curseur ? Comment préserver un juste équilibre entre le droit à l’information, la protection des investigations et la présomption d’innocence ? « Si le secret des sources d’un journaliste est un principe consacré, il n’est pas absolu. Il doit nécessairement se concilier avec d’autres droits et intérêts concurrents, individuels ou collectifs, et parfois s’incliner devant eux. Les notions d’intérêt général et de proportionnalité doivent servir de garde-fou dans la manière de communiquer. Entre informer et perturber, voire entraver grandement le déroulement d’une enquête, la nuance est de taille », poursuit maître A. Wilmotte.

Dans un arrêt récent (CEDH, 17 décembre 2020, Sellami c. France, n° 61470/15) rendu en matière de « violation du secret de l’instruction », la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) parle de « but légitime » dans l’ « ingérence journalistique ». Confirmant, en tous points, les décisions concordantes des juridictions françaises, la CEDH valide la condamnation pour « recel de violation du secret de l’instruction » d’un journaliste qui, relatant une enquête en cours, avait publié le portrait-robot d’un suspect. La Cour considère que « la manière dont le requérant est entré en possession des informations litigieuses, la teneur de l’article litigieux et son influence sur la conduite de la procédure pénale ne contribuait pas à un débat d’intérêt général »

Rebondissement judiciaire

De récentes expertises complémentaires pourraient changer l’issue de l’affaire Chovanec. « Ni l’examen clinique d’admission à l’hôpital ni les constatations de l’autopsie n’ont permis de mettre en évidence des signes cliniques de manque d’oxygène. Nous n’avons pas constaté de traces traumatiques susceptibles de démontrer un manque d’oxygène », rapportent les experts. Selon leurs conclusions, l’homme serait décédé des suites des coups – plus de 40 - et blessures qu'il s'est auto-infligé. « Le décès est à mettre en rapport avec un état de mort cérébrale causé par un œdème qui peut être relié de manière tout à fait plausible aux nombreux et violents impacts de la tête de Monsieur Chovanec contre le mur du cachot ».

A la suite de la diffusion des images des caméras de surveillance, une première hypothèse voulait pourtant que Josef Chovanec soit mort d'une asphyxie causée par le comportement inapproprié des policiers qui tentaient de le maitriser. « Ceci confirme à tout le moins que la presse doit toujours être extrêmement prudente lorsqu’elle informe. La conclusion de ce rapport est cruciale. Elle pourrait innocenter totalement des policiers incriminés au pénal, ce n’est pas rien », ponctue maître A. Wilmotte. Dans le cadre du volet disciplinaire de ce dossier, une reconstitution aura lieu à l’aéroport de Charleroi ces 27 et 28 septembre prochain. Elle porte sur l'attitude des policiers dans la chronologie des événements, dont celui de la jeune policière.

 

Alessandra d'Angelo