Le plus célèbre des guides gastronomiques, le Michelin, est aujourd’hui la cible d’une polémique inédite : des universitaires anglo-saxons l’accusent de perpétuer un eurocentrisme et un élitisme hérités de l’époque coloniale. Selon un article du Telegraph du 7 juin 2025 dernier, ces critiques dénoncent « une vision jugée trop étroite de la gastronomie mondiale, qui ignorerait de vastes pans culinaires non européens ».
Du racisme dans le bœuf bourguignon
Fondé en 1900, le guide Michelin a bâti sa réputation sur la valorisation de la cuisine française, avant de s’internationaliser dans plus de 60 pays. Pourtant, malgré cette expansion, ses détracteurs estiment que le système des étoiles continue de privilégier une esthétique et des pratiques culinaires européennes : techniques, présentation des plats, ambiance des restaurants… tout serait calibré selon des standards occidentaux. La preuve, avancent-ils, réside dans l’absence de guides Michelin en Inde ou en Afrique, continents pourtant riches de traditions gastronomiques millénaires. La professeure d’anthropologie Tulasi Srinivas (Emerson College, Boston) va jusqu’à interroger : « Peut-être une part de racisme dans le bœuf bourguignon ? ». Elle dénonce un guide « par nature élitiste » qui mettrait en lumière des pratiques européennes « obscures », telles que la cuisine au feu de bois à Stockholm ou la gastronomie moléculaire en Espagne, tout en marginalisant les cuisines du Sud global.
La décolonisation alimentaire, nouveau front du wokisme ?
Cette offensive s’inscrit dans le mouvement plus large de la « décolonisation alimentaire », qui vise à reconnaître et valoriser les cuisines marginalisées, souvent issues d’anciennes colonies ou de cultures non occidentales. Selon ses partisans, le Michelin façonne les goûts mondiaux en imposant une hiérarchie culturelle héritée de la colonisation, où la gastronomie européenne occupe le sommet.
D’autres universitaires, comme Zeena Feldman (King’s College, Londres), comparent la critique gastronomique du guide à celle, plus inclusive, des influenceurs sur les réseaux sociaux. Selon elle, Instagram offrirait une diversité de points de vue et une ouverture que le Michelin, gardien « élitiste » de la gastronomie, ne saurait égaler.
La riposte du guide Michelin
Face à ces accusations, le guide Michelin se défend vigoureusement. Il affirme évaluer toutes les cuisines selon cinq critères universels : harmonie des saveurs, qualité des produits, maîtrise des techniques, personnalité du chef et régularité. Il revendique la diversité de ses inspecteurs, issus de plus de 30 nationalités, et la mise en avant de plus de 200 styles de cuisine dans ses guides à travers le monde. « Il n’y a ni quotas ni favoritisme européocentrique », insiste une porte-parole, soulignant la présence du guide dans des destinations aussi variées que le Mexique, la Thaïlande, le Brésil ou la Turquie.
Un débat révélateur des tensions culturelles mondiales
Cette polémique révèle les tensions persistantes autour de la définition du goût et de la légitimité culturelle. Le guide Michelin, jadis symbole du prestige culinaire français, se retrouve aujourd’hui sommé de s’adapter à une époque où la diversité et la reconnaissance des identités culinaires s’imposent comme de nouveaux critères d’excellence. Reste à savoir si l’institution centenaire saura évoluer sans perdre son âme, ou si elle sera contrainte de céder du terrain face à la montée en puissance des revendications décoloniales.