Le prédateur de la Sambre aux assises

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Pendant près de 30 ans, le bon père de famille prédateur sexuel aura semé la terreur dans la vallée de la Sambre en attaquant plus d’une cinquantaine de femmes. Incarcéré depuis fin février 2018, son procès s’annonce à l'automne 2021 devant la cour d'assise du Nord, à Douai. Au terme d'une enquête tentaculaire, l’homme au casier judiciaire vierge devra faire face à ses juges et à ses victimes. Ce procès s’annonce hors normes. Durant ses interrogatoires, l’homme aux pulsions mystérieuses livre aux enquêteurs les contours d’une personnalité sociopathe ambivalente. C'est à ce jour l'un des plus grands violeurs en série de toute l’histoire criminelle franco-belge.

Dino Scala aura très longtemps échappé à la justice. Depuis la fin des années quatre-vingt, des deux côtés de la frontière franco-belge, les policiers accumulaient en vain, des dossiers irrésolus de viols et d’attentats à la pudeur. « Un homme d’une quarantaine d’années, un accent du Nord, le teint hâlé et un ventre quelque peu bedonnant », les recoupements dans les différentes affaires avaient permis d’établir un portrait-robot, mais beaucoup trop imprécis pour qu’un suspect soit identifié. C’est grâce à la perspicacité des enquêteurs de la zone de police de Lermes, en Belgique, que le prédateur sexuel sera finalement  arrêté.

Des pulsions irrépressibles ?

Le 5 février 2018, une collégienne de 15 ans est victime d’un attentat à la pudeur. Il est 7h30, lorsqu’un homme l’attaque et l’emmène derrière le bâtiment de la gare d’Erquelinnes. Entendant les cris de l’adolescente, un chauffeur de bus vient à son secours. L’agresseur prend alors la fuite à bord d’un véhicule. Les images des caméras de vidéosurveillance permettent d’identifier une partie de la plaque d’immatriculation. La Peugeot 206 grise, immatriculée en France, appartient à Dino Scala, un homme de 57 ans. Lundi 26 février, interpellé à 6h45, à Pont-de-Sambre, près de Maubeuge, Scala n’oppose aucune résistance. Au moment de son arrestation, il a un opinel dans sa poche et des préservatifs dans la boîte à gants de sa voiture. Placé en garde à vue, il dit avoir « besoin de se libérer » et reconnaît les faits d’Erquelinnes. Il en avoue même une cinquantaine d’autres. Il a agi sur base de « pulsions irrépressibles ». Le 28 février, Dino Scala est mis en examen et écroué pour viols. C’en est fini pour le violeur de la Sambre. En juin 2019, après plus d’un millier de procès-verbaux, une centaine d'interpellations et de nombreux prélèvements ADN, la Belgique transmet tout son volet belge de l’enquête à la justice française.

« Monsieur Tout le monde »

A Pont-de-Sambre, les 2500 habitants du village restent médusés. Chacun cherche à comprendre l’inexplicable. Dino Scala, marié, père de trois enfants et grand-père, est un homme tout ce qu’il y a de plus respectable. Ouvrier de maintenance chez un sous-traitant du nucléaire basé à Jeumont, il est professionnellement très apprécié. C’est quelqu’un de poli et correct avec ses collègues féminines. Agréable, sociable, serviable, à l’écoute des gens, tous ceux qui le connaissent de près ou de loin sont stupéfaits. Exemplaire, irréprochable, les superlatifs fusent. Entraîneur de jeunes, l’homme est aussi, de 2009 à 2015, impliqué bénévolement dans le club de football local. Il est aussi membre de l’association de VTT et amateur de pêche.

Lors de son arrestation, Dino Scala se montre d’emblée coopérant. Il confesse dans le cabinet de la juge d’instruction de Valenciennes : « Je m’attendais à me faire arrêter, et ça m’a fait du bien. J’ai besoin de me libérer. Je veux m’expliquer, pour les victimes. Je ne choisissais pas ces femmes. Je voyais une fille et cela me prenait d’un seul coup. C’était une pulsion irrésistible. J’ignore leurs noms, leurs visages, je ne pense même pas pouvoir les reconnaître ». Dr Jekyll et Mr Hyde, comment ce mari, ce père, ce voisin a-t-il pu dissimuler aussi longtemps sa part d'ombre, avouant même que « si l’on avait fait cela à sa propre fille, il aurait pété un câble » ?

Un enfant de cœur devenu prédateur par « réaction »

Ce que l’on sait : Dino Scala est né d'une mère belge très pieuse et d'un père italien très volage. Il a grandi avec quatre frères et sœurs dans une famille de catholiques pratiquants. Jusqu'à 18 ans, il a été enfant de chœur. Si, lors de ses auditions, il précise n’avoir jamais été abusé par des prêtres, il soutient avoir été lésé dans sa fratrie et estime ne pas avoir été reconnu à sa juste valeur. Il aurait été moins aimé par son père que ses deux frères. Se sentant déjà moins important familialement, si cet homme a ressenti la même dévalorisation avec un employeur ou au sein de ses deux couples (NDLR : Dino Scala a été mariée deux fois), les psychiatres en concluent qu’il a pu devenir, par réaction, un prédateur.

Un profil psychiatrique « divisé »

Dino Scala est « l'image même de la normalité, voire de la banalité », écrivent les psychiatres Paul Bensussan et Frédéric Rouillon, tous deux mandatés par la juge d'instruction de Valenciennes (Nord). L'homme que les experts ont rencontré plusieurs fois dans sa cellule du quartier d'isolement de la maison d'arrêt de Sequedin (Nord) semble en tous points « moyen ». Ni grand ni petit, ni gros ni maigre, un peu dégarni, ce jeune grand-père, à qui femme et enfants rendent visite au parloir, utilise la souffrance des autres pour avoir des ressentis. C’est sa seule façon même de ressentir quelque chose.

La victime est perçue non comme un sujet, mais comme un objet. « En commettant son premier crime, le prédateur active dans son cerveau une mémoire traumatique. Quand il est à nouveau envahi par les images de ce premier viol, il va avoir envie de rejouer la scène. Il passe à l'acte pour se soulager ». Comme un drogué, une fois qu’il a eu sa « dose », l’agresseur reste anesthésié et peut le reste du temps jouer son rôle social de bon père de famille, de collègue et d’ami. C’est ce que l’on appelle un « sujet divisé ». Le sociopathe semble empathique et bienveillant, mais il donne juste le change. Il n’a aucune capacité à éprouver des émotions humaines. Deux personnalités co-existent de manière effrayante.

Un modus operandi atypique

Dino Scala s’est à chaque fois attaqué à des victimes qu'il ne connaissait pas du tout (NDLR : ce genre de viol représente moins de 10% de ces délits). Le nombre de victimes avoisinerait la cinquantaine (NDLR : 2% seulement des violeurs commettent plus de 5 viols). Les femmes avaient entre treize et cinquante ans. La fréquence des attaques étaient très aléatoire et l’homme n’avait aucun lieu de prédilection.

En ce qui concerne le mode opératoire, le violeur attaquait l'hiver, avant le lever du jour, dans un secteur géographique restreint, un losange de 30 km sur 15, à cheval sur la frontière franco-belge. Mains gantées, il dissimulait son visage et surprenait ses victimes dans le dos en les immobilisant au moyen d’un « étranglement commando », une technique apprise durant son service militaire. Parmi ses victimes : une infirmière, une agente de service, une professeure, une employée de la mairie de Louvroil, près de Pont-sur-Sambre, et de nombreuses lycéennes.

L'affaire du violeur de la Sambre reste donc extrêmement atypique. Chez Dino Scala, tout casse le stéréotype. L’absence de constance pouvant le raccrocher dans la littérature scientifique à un agresseur-type animera sans doute une partie des débats entre l’accusation et la défense lors de son procès.

Alessandra d'Angelo