Lien de L'interview : http://www.youtube.com/watch?v=jvBkKXVRGRo&t=19s
Enzo, en 2002 tu as dit : « Si l’Italie est le plus beau pays du monde, je n’en suis pas moins fier
d’âtre belge et s’il il y a quelque chose que je n’ai jamais regretté, c’est ça ».
Enzo Scifo : Je n’oublierai jamais mes racines mais mon parcours, c’est en Belgique que je l’ai tracé.
Avec un certain succès, à l’évidence, car je me suis imposé rapidement dans le monde du football. Il
n’empêche que j’ai dû cravacher quand même. Beaucoup ne voient que le beau côté des choses,
mais par moments, j’en ai bavé. Une carrière, c’est pas nécessairement un long fleuve tranquille. J’ai
vécu de belles choses mais j’ai traversé aussi des zones de turbulences.
Qui dit Enzo Scifo songe tout naturellement à une certaine élégance, une certaine classe.
Enzo Scifo : Dès ma plus tendre enfance, on m’a appris des valeurs : la politesse, par exemple, dire
bonjour, merci, respecter les autres, a fortiori les anciens. Dans le monde, c’est pas toujours évident.
Je me suis fait quelquefois marcher sur les pieds à cause de ça mais ma nature est ce qu’elle est, on
ne me changera pas.
Tu n’es manifestement pas du genre à te présenter en kilt à un rassemblement de l’équipe
nationale, comme quelques-uns le font aujourd’hui.
Enzo Scifo : Ce bling-bling là, très peu pour moi. J’étais plutôt costume-cravate. Mais soit, chacun son
truc. La société et ses composantes ont changé par rapport à mon époque.
Un proverbe flamand veut que les grands arbres captent beaucoup de vent. Tu en as fait
l’expérience. Avec le recul, ça t’inspire quoi ?
Enzo Scifo : J’ai dû composer avec une certaine jalousie dès le début de ma carrière. Sur l’instant, je
n’ai pas toujours compris ce qui m’arrivait. L’âge aidant, j’ai appris à relativiser. Je me suis rendu
compte alors que d’autres vivaient des trucs similaires. C’est propre à ceux qui se trouvent en pleine
lumière. Tantôt, tu es encensé, tantôt on te démolit. Si je dois revenir en arrière, je serais plus serein
par rapport à ces situations-là.
Concernant ta carrière, tu as des regrets ?
Enzo Scifo : Avec le recul, je me dis que tous mes choix n’ont peut-être pas toujours été des plus
pertinents. Je me suis embarqué dans des histoires sans vraiment prendre la peine de réfléchir. Du
coup, j’ai connu des joies mais aussi des déceptions. Mais j’ai toujours assumé et ça fait aussi la
beauté d’un parcours. Le fait de sortir d’une situation difficile, c’est exaltant. Le plus extraordinaire,
pour moi, c’est précisément d’avoir surmonté ces moments.
Jan Ceulemans ma révélé récemment que le foot en tant que tel ne lui manquait pas. Mais la vie de
footeux, oui.
Enzo Scifo : Je peux comprendre Jan. Quand on a vécu de nombreuses années dans ce milieu, il est
difficile de s’en détacher car le métier de footballeur est l’un des plus beaux du monde. Quant au
foot en tant que tel, j’avoue qu’il y a quelques années, j’en ai eu ras le bol. J’avais besoin de dire stop
car je ne m’y retrouvais pas. J’étais déçu par ce milieu. Cette coupure m’a permis de rebondir et
d’accepter un nouveau challenge à La Louvière.
Tu es revenu aujourd’hui à la RAAL, le club de tes débuts. A 58 ans, la boucle est bouclée ?
Enzo Scifo : Je suis revenu à mes premières amours, à l’évidence. Sans doute était-il écrit quelque
part que cette situation se produirait un jour. Avant l’arrivée au pouvoir de Salvatore Curaba,
l’ancienne direction m’avait déjà proposé un retour. Mais ça ne s’était pas fait car je ne sentais pas le
projet. A présent, c’est différent. Salvatore Curaba est revenu plusieurs fois à la charge. De temps de
réflexion en temps de réflexion, j’ai vu que les choses bougeaient, tant au niveau de l’effectif que des
infrastructures et ça a été le déclic pour moi. Du coup, j’ai dit oui.
J’ai glissé dans le bonnet que je te tends quelques bouts de papier sur lesquels sont inscrits des
noms. J’aimerais que tu en assures les commentaires.
Enzo Scifo : Pino…C’est mon frère aîné, décédé en 2005 en effectuant son travail de grutier…Que
dire, sinon qu’il était plus qu’un frère pour moi. On était quasi des jumeaux, partageant les mêmes
valeurs. Sa mort, c’était un drame pour tout le monde dans la famille. A fortiori pour mes parents. On
évitait d’en parler pour ne pas les peiner. Pino, c’est le gars le plus extraordinaire que j’aie connu.
Suite à son décès, je n’avais subitement plus de point d’attache. C’était mon confident. Près de 20
ans ont passé mais il me manque toujours.
Guy Roux
Enzo Scifo : Un personnage-clé dans ma carrière, que j’ai rencontré au bon moment. Dans ma
carrière, je n’ai peut-être pas toujours été perspicace dans mes choix, mais Auxerre, c’était vraiment
un coup dans le mille. A l’époque, j’étais en prêt aux Girondins de Bordeaux et ce prêt était élevé : 80
millions de FB pour 2 saisons. Après la première année, le club décide de se séparer de moi pour ne
pas devoir payer la deuxième tranche de 40 millions. Un journaliste de L’Equipe m’appelle et me
demande : « si un club français frappe à la porte, tu fais quoi ? » Je lui réponds : OK, si on trouve un
terrain d’entente et que ce club dispute une coupe d’Europe. C’était le cas, précisément, pour
Auxerre. A la lecture du papier, dans lL’Equipe, Guy Roux m’appelle et me demande si l’AJA c’est ok.
Finalement, on se retrouve tous à Orly quelque temps plus tard : l’Inter, qui m’avait prêté à
Bordeaux, les dirigeants de Bordeaux, d’Auxerre, mes propres accompagnateurs. Pour que la
transaction se réalise, j’ai dû diviser mon salaire par trois. Pas évident car je gagnais bien ma vie.
C’était un recul, tant sur les plans financier que sportif, mais je me disais que c’était peut-être un
recul pour mieux sauter par la suite, et ça s’est bel et bien vérifié.
Guy Thys
Enzo Scifo : Encore une autre figure paternaliste. Ce qu’il m’a apporté, c’est fou. J’avais 18 ans quand
il m’a pris sous son aile. Il a été à la fois un protecteur et un formidable motivateur pour moi. Un très
grand monsieur.
Je ne dois pas te faire de dessin : bon nombre d’entraîneurs belges se retrouvent aujourd’hui sur le
carreau. Faut-il vraiment aller chercher ailleurs ce que l’on a sous la main ?
Enzo Scifo : poser la question, c’est un peu y répondre, non ? Je pense que le problème des
entraîneurs belges est d’être trop humbles. Rares sont ceux qui font des vagues. J’ai l’impression que
dans le milieu du football, c’est mal perçu. Comme le foot génère beaucoup d’argent, taper sur la
table est une force. Personnellement, je n’en suis pas convaincu, mais soit. J’estime aussi que l’on
accorde trop d’importance au coach. Celui-ci n’est jamais qu’un maillon de la chaîne mais pas
nécessairement le plus important. Pour beaucoup, un bon coach est celui qui signe de bons résultats
et le mauvais celui qui perd tous azimuts. Désolé, mais un coach a besoin de bons outils pour être
performant. On l’oublie trop souvent.
On termine par une série de questions où tu réponds par oui ou non.
La RAAL disputera la Ligue des Champions dans moins de dix ans ?
Enzo Scifo : Non
Maradona est le plus grand de tous ?
Enzo Scifo : Non
Enzo Scifo aurait-il sa place aujourd’hui au Barça, au Real ou à Manchester City ?
Enzo Scifo : Oui
Enzo Scifo coach en JPL ?
Enzo Scifo : Oui
Anderlecht retrouvera-t-il son statut endéans les 3 ans ?
Enzo Scifo : Non
Ta plus grande déception, était-ce le Mondial 98 ?
Enzo Scifo : Oui
Enzo Scifo est-il un parfait polyglotte français, italien, néerlandais, anglais ?
Enzo Scifo : Un petit oui, haha…
Dernière question : Avec le recul, si tu revois ton parcours, tu lui dis quoi à Enzo ?
Enzo Scifo : Je lui dirais : bien gamin. Tout n’a peut-être pas été parfait mais toutes ces expériences
m’ont fait grandir en tant qu’homme. Je sais, j’ai peut-être suscité la polémique par moments. Avec
Meeuws, avec Leekens. Ce qui m’attriste dans ce dernier cas, ce n’était pas tant le choix du coach de
me remplacer. Non, c’est le fait qu’à 32 ans, tout était subitement terminé. Une page importante de
ma vie s’est tournée à ce moment-là. J’aurais préféré une autre issue, moins abrupte
Philippe Vande Walle
ENZO SCIFO EN BREF
Naissance : 19 février 1966 à Haine-Saint-Paul
Carrière joueur : RAAL (La Louvière 1973-1982), Anderlecht (1982-87), Inter Milan (1987-88),
Girondins Bordeaux (1988-89), AJ Auxerre (1989-91), Torino (1991-93), AS Monaco (1993-97),
Anderlecht (1997-2000), SC Charleroi (2000-01).
Carrière entraîneur : SC Charleroi (2000-02), AFC Tubize (2004-06), Excelsior Mouscron (2007-09),
RAEC Mons (2012-13), Espoirs (2018-20), Excel Mouscron (2021), RAAL (responsable du
développement des talents, 2024)
Diable Rouge : 84 sélections