Treize personnes sont jugées à Paris pour avoir participé au boycott collectif de Mila, une adolescente qui a, en 2020, publié sur les réseaux sociaux des vidéos polémiques sur l'islam. Les prévenus, âgés de 18 à 30 ans, sont jugé pour harcèlement en ligne, certains pour menaces de mort et pour l’un d’eux menace de crime. « C’est la première fois dans l’histoire de ce pays, qu’une jeune femme de cet âge-là fait l’objet d’une protection policière 24 heures sur 24. Ce procès est celui de la terreur numérique qui déchaîne des meutes sexistes, homophobes et intolérantes », a déclaré à l’AFP maître Richard Malka, l’avocat de Mila. Il vise à donner un coup de projecteur sur l’infraction de cyberharcèlement qui est nouvelle en France. Malgré la procédure en cours, le compte Instagram de la lycéenne de l’Isère a été piraté ce lundi et les menaces ont repris de plus belle sur Twitter. « Je craque, je me demande ce que je fais encore là », se désespère-t-elle. L’affaire est renvoyée au 21 juin devant la 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris.
« Tu mérites de te faire égorger sale grosse pute », « que quelqu’un lui broie le crâne par pitié », « dis-moi où tu habites, je vais te faire une Samuel Paty », « je te souhaite de mourir de la façon la plus atroce qui puisse exister et si jamais ça tarde, je m’en chargerais moi-même », plus de 100.000 messages haineux ont participé à un véritable lynchage numérique. Le système scolaire, qui n’a pas su canaliser ces débordements, a mis un terme en janvier 2020 à la scolarité de Mila. Malgré leur convocation devant le tribunal, ces jeunes restent persuadés aujourd’hui qu’ils n’ont pas harcelé, puisqu’ils n’ont pour la plupart envoyé « qu’un seul message ». Même si sous couvert de pseudo, même si on est anonyme derrière son écran, même si on est très jeune et même s’il ne s’agit que d’un seul message, l’infraction est définie dans la loi Schiappa. Depuis 2018, le délit peut être constitué dès lors que plusieurs personnes s’en prenant à une même victime savent que leurs propos ou comportements caractérisent une répétition, sans que chacune de ces personnes ait agi de façon répétée ou concertée. Pour le harcèlement en ligne, les prévenus encourent 2 ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende, 3 ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende pour les menaces de mort.
Cyber-mobbing et boucs-émissaires
A un âge où l’on cherche une identité, mais surtout où l’on aspire à plaire à tout prix, l’intégration à un groupe est un signe formidable de reconnaissance et l’association à un « mauvais » groupe, celui des « nuls » devient une hantise. Une nouvelle classification ferait d’ailleurs fureur chez les ados pour déterminer qui est « in » et qui est « out », celle du (ou de la) « tshoin ». Obscure pour les adultes, ce nouveau système de classement des individus - en langage ado - oppose les petits rois et reines des établissements scolaires, les « soins », aux parias des cours de récréation, les « tshoins », celles qui, sous la pression du groupe, se trouvent ainsi mises à l’index, et dont la photo postée sur des pages, des blogs ou des forums sera suivie d’un tombereau d’insultes en ligne. Une cyberintimidation avec de graves conséquences dont serait victime, selon les dernières statistiques, un élève sur cinq en Europe, et jusqu’à un sur trois en Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans 50% des cas, la victime mise au pilori est persécutée par ses propres camarades de classe. Exclusion, dépression, alcool, drogue, l’adolescent harcelé vit une véritable descente aux enfers. Un tatouage numérique, qu’il soit verbal ou visuel, ne disparaît jamais vraiment sur la Toile. Certains adolescents s’écroulent et basculent dans l’irréparable. Les faits divers à l’issue dramatique n’ont de cesse de se multiplier. La jeune victime ne voit pas d’autre issue que la mort.
Enseigner l’empathie
« Aujourd’hui, le harcèlement ne s’arrête plus aux portes des établissements. Sur la toile, plus que jamais, les parents et les enseignants ont un rôle majeur à jouer », nous explique Abdel, éducateur à Centrum West, une maison de jeune à Molenbeek. « Régulièrement, nous recevons des jeunes en détresse, encore la semaine dernière, et les agressions commence déjà à l’école primaire ! Il y a ceux qui publient, ceux qui en rient et le pire, l’entourage silencieux qui observent. Et même si c'était, disent-il, ‘pour rigoler’, pour certains, l’humiliation est très dure à oublier. Tous les mardis, nous organisons des ateliers de confiance en soi pour que les jeunes en difficultés puissent venir déposer, mais ce n’est pas suffisant. Le dispositif devrait être mis en place à l’échelle nationale et cela fait un moment que nous interpellons le politique sur le sujet. Le cyberharcèlement est une question prioritaire dans l’enseignement. L’école doit se renouveler pour aborder avec les élèves des problématiques nouvelles. C’est comme pour un téléphone portable, il est tant que l’’Éducation fasse de sérieuses mises à jour. Au lieu de revoir les rythmes scolaires, la ministre de l’Éducation, Caroline Désir, devrait urgemment travailler à des programmes de sensibilisation à un bon usage des réseaux sociaux. Au Danemark, l’empathie est depuis longtemps enseignée aux élèves, ce qui permet aussi de détecter très vite en classe les cas de harcèlement ».
Les élèves de 6 à 16 ans reçoivent une heure d'empathie par semaine, afin que leur soit distillée une culture de la non-violence qui inclut des valeurs telles que la non-discrimination, l’égalité, l'équité, la tolérance et le respect de la dignité humaine. Le concept fonctionne. Et pourtant, le pays scandinave est actuellement le seul au monde à dispenser ce cours de manière obligatoire.
Cadrer plus fermement les dérives
A l’inverse de la France, en Belgique, il n’existe pas de loi spécifique qui condamne le cyberharcèlement. Le recours a plusieurs textes est toutefois possible. Il y a tout d’abord l’article 442 bis du Code pénal qui condamne le harcèlement moral, soit « quiconque aura harcelé une personne, alors qu’il devait savoir qu’il affectait gravement la tranquillité de la personne visée ». Il y a aussi l’article 145bis de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électronique qui condamne l’usage abusif de ces moyens. Enfin on peut avancer l’atteinte à la dignité de la personne.
Dans le prolongement des récents derniers drames induis par une utilisation nocive des réseaux sociaux, le 25 février 2021, le MR a déposé une proposition de résolution au Sénat destinée à mieux lutter contre le cyberharcèlement. Sont introduites une liste de recommandations. Il s’agirait que le gouvernement fédéral mène les actions suivantes :
1) inclure la lutte contre les discriminations et les crimes de haine dans le prochain Plan national de sécurité et y introduire la lutte contre le cyberharcèlement;
2) évaluer les possibilités de simplification des procédures d’accès à l’adresse IP et à l’identité de leurs utilisateurs afin d’identifier le plus rapidement possible les auteurs de cyberharcèlement;
3) modifier l’article 442bis du Code pénal consacré au harcèlement en vue de réprimer pénalement la pratique du «lynchage numérique» afin de pouvoir appliquer la loi dans des cas non prévus par le législateur de l’époque, et plus spécifiquement, au harcèlement sur les réseaux sociaux.
Si vous rencontrez des problèmes en rapport avec l'utilisation d'Internet contre un(e) adolescent(e), la Federal Computer Crime Unit (www.polfed-fedpol.be) et ECOPS (www.ecops.be) sont des points de contact où il est possible de signaler des délits commis sur ou via internet. Vous pouvez également vous adresser au portail de prévention de Child Focus, Clicksafe, pour un usage sûr et responsable d'Internet par les enfants et les adolescents (www.childfocus.be). Un numéro d'appel gratuit et anonyme, le 103, est également à l’écoute des adolescents, tous les jours, de 10 à 24 heures.