Le procès de Nice fixé en 2022

Share on Facebook

Huit mois après les attentats les plus meurtriers jamais commis en France, qui feront 130 morts le 13 novembre 2015 à Paris et à Saint-Denis, le terrorisme frappe à Nice. Le 14 juillet 2016, en pleine célébration de la fête nationale, sur la promenade des Anglais, un camion bélier fonce sur la foule juste après le feu d’artifice. Le bilan est lourd :  86 morts de 19 nationalités différentes et 206 blessés. L’émotion est énorme en France comme à l’étranger. Cette tuerie de masse perpétrée par un homme seul atteint un record tristement historique. L’attentat perpétré par Anders Behring Breivik, le 22 juillet 2011 à Oslo, en Norvège, avait fait un total de 77 morts et 151 blessés. Retour sur les faits et le point sur le procès à venir dont la date est enfin connue.

Il est 22h40 ce fameux jeudi soir. Le feu d'artifice se termine et les badauds venus en nombre commencent à se disperser. Soudain, sur une distance de 1,7 km et lancé à près de 100 km/h, un camion frigorifique de 19 tonnes fonce sur la foule et fauche toutes les personnes se trouvant sur son passage avec une violence inouïe, « comme un chasse-neige projetant les corps », dira un témoin. Le conducteur tire aussi à plusieurs reprises avec un pistolet 7.65mm avant d’être abattu par la police. La course meurtrière du poids lourd s’arrête, pneus crevés, porte passager et pare-brise criblés de balles.

Le dispositif Orsec et le Plan Blanc sont instantanément déclenchés. Le plan Vigipirate est rehaussé en « alerte-attentats » dans les Alpes-Maritimes. Le High Club, une discothèque sur la Promenade des Anglais, et l'hôtel Negresco sont transformés en hôpital de campagne et le palais de la Méditerranée, en poste de sécurité. Les premiers secouristes décrivent une véritable scène de guerre. Une cellule psychologique est mise en place au Centre universitaire méditerranéen. De nombreux enfants font partie des victimes. Le plus jeune des blessés n'a que six mois. Quatre magistrats du pôle antiterroriste du parquet de Paris sont saisis de l’enquête.

Un profil atypique

Le conducteur du camion, loué quelques jours plus tôt à Saint-Laurent-du-Var, est rapidement identifié. Il s’agit de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, un chauffeur-livreur niçois de nationalité franco-tunisienne, originaire de Msaken, dans la banlieue de Sousse, en Tunisie et habitant Nice. Que sait-on de lui ? En instance de divorce, il était âgé de 31 ans et père de 3 enfants. Ses papiers sont retrouvés dans le camion, ainsi qu’une grenade percée, deux répliques de kalachnikovs, une carte de banque, un portable et divers documents. Si l’homme faisait l’objet d’un contrôle judiciaire, son profil est pour le moins atypique pour un auteur d’attentat.

Le tueur était connu des services de police, mais pas des services de renseignement. Il avait été condamné, en janvier 2016, à 6 mois de prison avec sursis pour faits de violence avec arme, à la suite d’une altercation routière avec un automobiliste qu’il avait frappé avec une palette. Son appartement, situé dans un quartier populaire de l’est de la ville, est perquisitionné en présence du RAID, plusieurs cartes SIM saisies ainsi que du matériel informatique, mais rien de laisse penser à une radicalisation plus ou moins récente. Ses voisins le décrivent comme alcoolique, fumeur de shit, violent, taciturne et solitaire. Son père évoque rapidement une prétendue dépression chronique initiée au début des années 2000. Plusieurs personnes, dont son ex-femme, sont placées en garde à vue.

Un deuil National de 3 jours décrétés

Après le choc, le recueillement. Trois jours plus tard, le Président de la République François Hollande décrète 3 jours de deuil national. Tous les drapeaux sont en berne. Les dirigeants politiques du monde entier expriment unanimement leur solidarité et leur indignation. Sur la promenade des Anglais, des bougies, des messages, des photos, des peluches et des gerbes de fleurs affluent sans discontinuité, déposés tant par les familles éplorées que par des anonymes en soutien. Un mémorial est improvisé dans un kiosque à musique qui avait déjà accueilli des hommages au moment de la mort d’Hervé Gourdel, un guide de haute-montagne enlevé en Algérie le 21 septembre 2014 et décapité par un groupe djihadiste.

Un attentat revendiqué

Le samedi 16 juillet, l’attentat est revendiqué par le groupe Etat islamique (El) dans un communiqué de l’agence AMAQ. Le tueur serait « un soldat du califat » de l'organisation djihadiste. Il aurait agi « en réponse aux appels lancés » par l'EI qui contrôlait alors des territoires en Irak et en Syrie. Les services de renseignements restent toutefois perplexes quant aux liens du tueur avec l’Etat islamique. L'enquête n'a confirmé aucune connexion avec l'organisation ultraradicale. Malgré le mode opératoire et la date symbolique du 14 juillet, aucun contact entre l’homme et la Syrie n’a été établi.

Un procès en 2022

Cinq ans plus tard, la date du procès est fixée. Du 5 septembre au 15 novembre 2022, huit personnes comparaîtront devant leurs juges. Ce procès se tiendra devant la cour d’assises spéciale de Paris. C’est aussi devant ce tribunal que s’est déroulé le procès des attentats du 13 novembre 2015. L’auteur de l’attaque, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, ayant été tué, la cour d’assises examinera les responsabilités des membres de son entourage et intermédiaires impliquées dans le trafic d’armes qui lui étaient destinées.

Les trois principaux accusés, Chokri Chafroud, Ramzi Arefa et Mohamed Ghraieb, seront jugés pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle ». Les parties civiles réclament leur comparution pour « complicité de crimes », une qualification plus lourde qui leur ferait encourir la réclusion à perpétuité. Si Mohamed Ghraieb a été libéré en 2019 sous contrôle judiciaire, les deux autres sont en détention provisoire.

Pour les cinq autres prévenus qui doivent comparaître, dont une femme, les investigations n’ont pas pu démontrer qu’elles avaient eu connaissance du projet d’attentat. La qualification « terroriste » a donc été écartée. Elles seront jugées pour des infractions de droit commun, soit pour trafic d’armes. L'une d’entre elles est actuellement en fuite et une autre, un Albanais de 28 ans, a été arrêté mi-avril en Italie. Le cousin de ce dernier, incarcéré en 2016 dans ce dossier, s'est suicidé en prison le 8 juin 2018

Un sentiment d’abandon

Au moins 865 personnes ou associations de victimes sont parties civiles au procès. Plusieurs d’entre elles regrettent la lenteur de l'instruction. Cinq ans après l'attentat, toutes les victimes, directes ou indirectes, n'ont pas encore été indemnisées. Elles sont aussi nombreuses à dénoncer la violence du parcours d’indemnisation et les difficultés à se faire reconnaître en tant que victimes. Beaucoup ont simplement abandonné, d’autres se sont vu refuser le statut de victime car elles n’arrivaient pas à apporter les preuves suffisantes de leur présence dans la zone de danger. Des primo-intervenants se sont aussi vu rétorquer qu’ils n’étaient pas des victimes directes car ils étaient venus aider de leur plein gré.

Outre les 86 victimes tuées et les 206 victimes blessées physiques, le FGTI (NDLR : le Fonds de garantie des victimes en France) a identifié un total de 1.683 blessés psychiques. 300 enfants sont toujours suivis à l'hôpital Lenval de Nice pour le psycho-traumatisme subi. Ils présentent de lourdes phobies persistantes et les psycho-traumas ne sont pas remboursés

Plusieurs parents n'ont pu récupérer qu’en 2020 les organes prélevés sur leurs enfants décédés à des fins d'autopsie et mis sous scellés par la justice. Certains en contestent aujourd’hui l'authenticité et ont saisi le Défenseur des droits (NDLR : un organe administratif indépendant français qui veille au respect des droits et libertés) après s’être vus imposé un refus d'une analyse ADN.

Alessandra d'Angelo