Dans un football moderne où la pression mentale est omniprésente, la préparatrice mentale Eshraf Kanfoud aide les joueurs et clubs professionnels à transformer la peur en confiance. Rencontre avec une experte qui sculpte les esprits pour libérer le plein potentiel des athlètes.
Dans un football moderne où la pression mentale, les émotions et la gestion des blessures sont devenues aussi décisives que la technique, TOF Plus est allé à la rencontre d’Eshraf Kanfoud, préparatrice mentale pour sportifs professionnels. Elle accompagne depuis plusieurs années des joueurs et des clubs dans leur quête d’équilibre et de performance, en les aidant à transformer la pression en force mentale et à libérer leur plein potentiel sur le terrain.
Comment décririez-vous votre métier de préparatrice mentale à quelqu’un qui ne le connaît pas ?
Je dirais que mon métier est de sculpter l'esprit des athlètes pour qu'il soit aussi performant que leur corps. Si le préparateur physique s'occupe des muscles et de l'endurance, je m'occupe des facteurs invisibles qui font la différence sur le terrain : la concentration, la gestion du stress, la confiance en soi, la régulation du système nerveux, le traitement des traumas et la capacité à prendre les bonnes décisions sous pression. Mon rôle est de fournir aux footballeurs de haut niveau une boîte à outils mentale pour qu'ils puissent mobiliser 100 % de leur potentiel, même dans les moments critiques. Il ne s'agit pas de psychologie clinique, mais de psychologie de la performance. En termes simples : je les aide à gagner le match qui se joue dans leur tête avant de le gagner sur le terrain.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler dans le football plutôt que dans un autre sport ?
Ce choix repose sur un mélange de passion personnelle et de défi professionnel. J'ai toujours été passionnée par le football, depuis mon plus jeune âge. Ce sport génère une adrénaline et une ferveur que je ne retrouve nulle part ailleurs. Être aux côtés des joueurs dans le couloir, juste avant qu'ils n'entrent sur la pelouse, ressentir l'enjeu et cette montée d'énergie, est pour moi une source de motivation puissante. Le football de haut niveau présente aussi une complexité mentale et collective sans égale. Nous ne travaillons pas seulement avec onze individus, mais avec une dynamique de groupe où les égos, les statuts et les pressions externes s'entrechoquent constamment. Enfin, s'établir comme experte dans un milieu historiquement masculin est un défi que j'ai pleinement embrassé. Cela m'oblige à être constamment irréprochable et innovante dans ma méthodologie, ce qui améliore la qualité de mon accompagnement et nourrit mon besoin de me surpasser.
Quels sont les plus grands défis mentaux auxquels font face les footballeurs aujourd’hui ?
Les défis mentaux des footballeurs de haut niveau sont plus complexes que jamais, notamment à cause de l’intensité de la compétition et de l’omniprésence numérique. Le premier défi reste la gestion de la pression. Ce n'est pas seulement la pression du résultat ou du staff, mais celle d’être constamment observé. Le vrai défi n'est pas d’éviter l’erreur, mais d’avoir la résilience pour rebondir immédiatement après. Les réseaux sociaux sont aussi un facteur déterminant : les joueurs sont exposés à une critique instantanée et virulente. Cette exposition permanente brouille la frontière entre leur vie professionnelle et personnelle. Il faut leur apprendre à se déconnecter, à ne pas laisser les avis d’inconnus miner leur confiance. Enfin, la régulation du niveau d’activation — ce qu’on appelle le “flow” — est cruciale. Le football moderne exige une intensité physique et mentale extrême. Le défi consiste à trouver le juste équilibre : ne pas être trop relâché, mais éviter l’hyper-stress.
Comment travaillez-vous la confiance d’un joueur en période de doute ou après une blessure ?
La période de doute ou la sortie de blessure est un moment charnière où l'on doit passer d'une approche rééducative à une reconstruction de l'identité de l'athlète. J’utilise des outils précis : l’hypnose et la reprogrammation neuronale permettent de contourner le mental conscient pour remplacer les schémas de peur par des schémas de confiance. Le biofeedback aide à réguler le système nerveux en mesurant la fréquence cardiaque ou la variabilité cardiaque. Le joueur apprend ainsi à passer d’un état de stress à un état de calme et de concentration optimale avant une action clé. Enfin, le traitement des traumas et blocages profonds libère le potentiel de performance. Il ne suffit pas de dire à un joueur “aie confiance”. Mon travail consiste à lui donner les mécanismes neuroscientifiques pour créer et maintenir cette confiance, même quand tout semble s’écrouler.
Selon vous, à quel point le mental peut-il faire la différence entre une victoire et une défaite ?
Au plus haut niveau, le mental n'est pas un facteur secondaire ; c'est l'élément qui fait la différence entre la performance et la simple compétence. Lorsque l'on atteint les sommets du football professionnel, tous les joueurs possèdent la technique, le physique et l'intelligence de jeu. La différence, celle qui sépare un champion d'un très bon joueur, se joue dans la tête. J'estime que le mental représente les 10 à 15 % restants qui permettent de transformer un match nul en victoire. Le mental ne crée pas le talent, mais il est le seul à pouvoir le libérer quand la pression est maximale.
Vous avez accompagné plusieurs sélections nationales et clubs de haut niveau. Quelles différences remarquez-vous dans la culture du mental entre les pays ?
C'est une question capitale, car la culture d'un pays ou d'un club façonne profondément la psychologie du joueur. Dans les championnats du Maghreb et du Moyen-Orient, la culture est souvent plus émotionnelle et holistique : l’identité du joueur est fortement liée à sa communauté. Le mental y est parfois perçu comme un outil d’urgence, mobilisé pour gérer les crises. En Europe, la préparation mentale est intégrée à la performance globale : elle est scientifique, mesurable, axée sur l’optimisation. Ma force réside dans cette double maîtrise : transposer les outils neuroscientifiques européens à la gestion des émotions du monde arabe, et inversement.
Si vous aviez un message à faire passer aux clubs et aux entraîneurs sur l’importance du mental, quel serait-il ?
La préparation mentale doit être perçue comme un pôle de performance essentiel et permanent, et non comme un service d'urgence. Nous intervenons sur la neurophysiologie et les schémas de pensée. Ce n’est pas une question de motivation ou de morale, mais de science de la performance. L’erreur est d’attendre qu’un joueur aille mal pour agir. La préparation mentale est avant tout un levier d’optimisation proactive : elle sécurise le talent, améliore la prise de décision et prévient l’épuisement. Assurer la durabilité et l’excellence d’une équipe passe nécessairement par l’investissement dans l’esprit de ses joueurs.